Menu
Libération

Canal+, un bourre-pif dans le PAF

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 14 septembre 2011 à 11h35

Vous étiez où, vous, le 31 mars 2005 ? Devant votre télé, pardi, à vous extasier, en ce jour de naissance de la TNT, du vent de liberté soufflant sur le paysage audiovisuel. Enfin, le triumvirat privé TF1-M6-Canal + était brisé et de nouveaux venus tentaient leur chance. AB ! NRJ ! Bolloré ! Lagardère ! Hosannah ! Oui bon d'accord : les nouveaux entrants dont la TNT permettait enfin l'éclosion, ce n'était pas exactement ces «associations de chasseurs de papillons de Ménilmontant» que faisait semblant de craindre alors le patron de TF1 Patrick Le Lay mais tout de même. Six ans plus tard, une concentration sans précédent s'opère qui voit les chaînes de la TNT tomber une à une dans l'escarcelle de TF1, Canal + et M6.

Le premier nouvel entrant n’a même pas attendu le lancement de la TNT pour lâcher l’affaire : en 2004, le groupe Pathé revend TMC à TF1 et AB. En 2009, ce dernier qui, en plus de la cogérance de TMC, avait lancé NT1, finit par caner à son tour et revend le tout pour 192 millions d’euros à la Une à l’audience sérieusement entamée par les chaînes de la TNT. Début 2010, Lagardère, fidèle à sa stratégie portnawak en matière de télévision, bazarde Virgin 17 à Bolloré pour un petit 70 millions d’euros.

Mais c'est jeudi que survient ce que la Tribune et les Echos appellent de conserve «le séisme» : le rachat par surprise et Canal + des deux chaînes de Bolloré , Direct 8 et Direct Star (ex Virgin 17) pour la pas très modique somme de 465 millions d'euros (à terme). Un séisme, parce que c'est la première fois - hormis ses tranches en clair et sa chaîne d'infos i-Télé - que Canal + s'aventure dans le gratuit. Un séisme parce que la concentration des chaînes privées de la TNT - qui n'est pas sans rappeler celui des radios libres dont les fréquences ont été rachetées une à une par les privées dans les années 80 - connaît un brusque coup d'accélérateur qui va remodeler totalement le paysage.

Le PS est d'ailleurs entré dans la bataille, son secrétaire en charge des médias Patrick Bloche voyant dans l'opération menée par Canal + «un appauvrissement du paysage audiovisuel français» . Ce qui, au regard des programmes actuels de Direct 8, n'est pas tout à fait certain mais bon… Bloche a rappelé au passage qu'en cas de victoire de la gauche à la présidentielle, un même groupe ne pourrait détenir plus de quatre chaînes gratuites sur la TNT, une promesse qui ne devrait pas favoriser le vote socialiste dans les hautes sphères du PAF.

Car en attendant, les nouveaux entrants qui avaient enfin instillé un peu de pluralisme ne sont plus que trois : l'enfantine Gulli (dont Lagardère conserve 50% mais juste pour rigoler), NRJ 12 et BFM TV. Le patron d'icelle Alain Weill, sitôt connu le coup de Canal +, s'est empressé de grimper aux rideaux, allant jusqu'à s'offrir hier une page de pub en forme d'appel à l'aide à l'état dans le Figaro («Lettre ouverte à ceux qui décident de l'avenir de la télévision»). Ce que redoute Weill ? Que, pour consoler TF1 de se prendre dans les dents un adversaire du calibre de Canal +, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) autorise la Une à passer LCI en gratuit. Laquelle boulotterait fissa BFM TV, redoute Alain Weill qui du coup se dit prêt, sur l'air de retenez-moi où je fais un malheur, à vendre sa chaîne. Et ça tombe bien, un groupe allemand est intéressé, affirme-t-il. Jean-Paul Baudecroux, le patron de NRJ Group, lui, réclame de nouvelles chaînes en plus de NRJ 12 , d'autant que, à l'image de TF1 avec LCI, M6 va réclamer que Paris Première soit désormais gratuite sur la TNT. Et tant qu'on y est, le gourmand patron de la Six Nicolas de Tavernost va déposer des demandes pour deux autres chaînes gratuites.

Résumons : un PAF qui s'agrandit d'un coup en 2005, puis qui se contracte brusquement autour des grandes chaînes, dégageant un à un les nouveaux entrants. En attendant peut-être, une fois réglé l'épineux problème des normes techniques et des chaînes bonus , un nouvel élargissement. Le gouvernement se voit en effet confronté à deux hypothèses : soit, s'il suit les préconisations du président du CSA Michel Boyon, le gel des nouvelles chaînes pendant au moins deux ans (sauf celles désormais contrôlées par Canal +). Soit dédire Boyon et jouer les grands seigneurs en ouvrant les vannes pour tenter de contenter tout le monde : LCI gratuite pour TF1, Paris Première itou pour M6 et un appel d'offres pour de nouvelles chaînes à l'attention de NRJ, BFM et autres aspirants. Il est pas joli ce scénario ? Et puis, de nouvelles télés gratuites, c'est un gentil cadeau au téléspectateur français avant la présidentielle.

Paru dans Libération le mardi 13 septembre 2011.

Sur le même sujet :

_ - Rapport Boyon : l'énorme coup de la norme

_ - « Le CSA préserve l'intérêt de certains »

Lire les réactions à cet article.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique