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Hadopi : La porte du filtrage ouverte, mais sous verrous

Si le Conseil Constitutionnel n'a pas censuré l'article relatif au filtrage des contenus, il l'a sérieusement encadré.
par Astrid GIRARDEAU
publié le 15 juin 2009 à 18h42
(mis à jour le 15 juin 2009 à 19h22)

«L'article 10 qui ouvrait une porte très grande au filtrage des contenus a été sacrément encadré par le Conseil» , se réjouissait Jérémie Zimmerman , porte-parole de la Quadrature du Net, vendredi dernier. S'ils ne l'ont pas censuré, les Sages ont en effet mise une bonne cale à cette porte ouverte, limitant ainsi une trop large interprétation.

Pour rappel, l'article 10 (anciennement 5) indique :

«En présence d'une atteinte à un droit d'auteur ou à un droit voisin occasionnée par le contenu d'un service de communication au public en ligne, le tribunal de grande instance, statuant le cas échéant en la forme des référés, peut ordonner à la demande des titulaires de droits sur les œuvres et objets protégés, de leurs ayants droit, des sociétés de perception et de répartition des droits visées à l'article L. 321-1 ou des organismes de défense professionnelle visés à l'article L. 331-1, toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d'auteur ou un droit voisin, à l'encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier.»

Lors de l'élaboration du texte, le mot filtrage a été évacué. «Toute mesure de suspension ou de filtrage des contenus» était ainsi transformé en «toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser» . Cela n'ôtait en rien sa portée, le « toutes mesures» pouvant couvrir à peu près tout et n'importe quoi.

Aussi, les débats parlementaires sur le sujet furent particulièrement enflammés. «Vous êtes en train de faire quelque chose de très grave ! » , alertait Jean Dionis du Séjour (Nouveau Centre) s'adressant à Christine Albanel, ministre de la Culture. A coup de sous-amendements les opposants à l'article ont tenté de l'encadrer. Patrick Bloche (PS) qualifiant une telle mesure d' «atteinte à la neutralité du net et aux libertés» , alors que Lionel Tardy (UMP) rappelait son incompatibilité avec le droit européen.

Dans leur recours (pdf) , soulignant le caractère flou de «toutes mesures» et de «toute personne» , les députés socialistes ont expliqué que l'article pourrait «freiner la liberté d'expression» . D'une part en privant «beaucoup d'utilisateurs d'Internet du droit de recevoir des informations ou des idées» , de l'autre en poussant ces «personnes» à «prendre des mesures restrictives de l'accès (par exemple, un filtrage automatique pour un certain protocole) fondées sur de pures conjectures quant à leur responsabilité potentielle.» Par exemple, pousser un FAI à interdire le p2p dans ses tuyaux.

En réponse à la saisine, dans ses observations , le gouvernement a indiqué que «la généralité» des termes «toute personne» visait à «éviter de dresser une liste limitative des personnes - par exemple, les hébergeurs et les fournisseurs d'accès à Internet - à l'encontre desquelles le président du tribunal de grande instance serait susceptible d'ordonner les mesures en question, compte tenu de la nécessité de ne pas préjuger des évolutions technologiques qui pourraient être mises à profit par les pirates.»

Finalement, le Conseil Constitutionnel a indiqué : «Considérant qu'en permettant aux titulaires du droit d'auteur ou de droits voisins, ainsi qu'aux personnes habilitées à les représenter pour la défense de ces droits, de demander que le tribunal de grande instance ordonne, à l'issue d'une procédure contradictoire, les mesures nécessaires pour prévenir ou faire cesser une atteinte à leurs droits, le législateur n'a pas méconnu la liberté de d'expression et de communication ; qu'il appartiendra à la juridiction saisie de ne prononcer, dans le respect de cette liberté, que les mesures strictement nécessaires à la préservation des droits en cause ; que, sous cette réserve, l'article 10 n'est pas contraire à la Constitution ;»

Deux choses sont à retenir dans cette décision. D'une part, il rétablit la procédure contradictoire, c'est-à-dire le fait que chacune des parties sera en mesure de discuter l'énoncé des faits et les moyens juridiques que ses adversaires lui ont opposés. D'autre part, elle spécifie «mesures strictement nécessaires à la préservation des droits en cause» , termes qui limitent sérieusement les mesures pouvant être mises en place. Le tout, on le rappelle, placé en regard de la définition, par le Conseil, d'Internet comme un accessoire du droit fondamental qu'est la liberté d'expression.

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