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Libération

Droit d'auteur: Face à TF1, YouTube confirme son statut d'hébergeur

par Sophian Fanen
publié le 29 mai 2012 à 19h32
(mis à jour le 29 mai 2012 à 19h42)

L'affaire durait depuis quatre ans. Statuant en première instance, le tribunal de grande instance de Paris a finalement débouté aujourd'hui TF1 contre YouTube. La chaîne accusait la plateforme de streaming vidéo de contrefaçon, concurrence déloyale et parasitisme. La juge a suivi plusieurs décisions françaises antérieures en considérant que «YouTube a un statut d'hébergeur» et ne peut surveiller ex ante (a priori) toutes les séquences uploadées sur ses serveurs. TF1, qui devra verser 80000 euros à Google, dit ce soir «étudier l'opportunité de faire appel» de cette «décision surprenante à plusieurs égards» .

Pour la chaîne de télévision du groupe Bouygues, la mise à disposition sur YouTube, propriété de Google, de séquences vidéo sur lesquelles la chaîne possède des droits (d'auteur, de producteur ou de diffusion) entraînerait un manque à gagner important. En 2008, TF1 chiffrait par exemple ce préjudice à 66600 euros par épisode de la série Heroes . Dans le jugement publié aujourd'hui par Numerama , on apprend aussi que TF1 basait notamment ses attaques sur «la mise en ligne d'une interview de Mylène Farmer au JT de TF1, du commentaire politique de Christophe Barbier de LCI, d'extrait des programmes The Departed et de Grey's Anatomy, et d'un spectacle de Gad Elmaleh.» Pour la chaîne, cette procédure en justice était aussi une façon de défendre sa propre plateforme de streaming, WAT, contre le géant Google.

Citant un rapport établi pour TF1 par «la société Tera Consultants pour donner des éléments pour la quantification du préjudice causé au groupe TF1 par le piratage des contenus» , le jugement détaille la position de la chaîne. Selon elle, «la société YouTube monétise des contenus du groupe TF1 et provoque de multiples pertes de chiffre d'affaires pour le groupe, [...] elle commercialise ouvertement ses espaces publicitaires dans les pages vues de son site et [...] elle détourne ainsi de l'antenne de TF1 et à son profit des millions de paires d'yeux qui auraient pu être valorisées par TF1 auprès des annonceurs publicitaires TV.»

Pour la cour, «les sociétés hébergeant des plate-formes d'échanges de contenus sont un nouveau vecteur de communication qui comme tous les nouveaux opérateurs arrivant sur un marché, ont capté une part des recettes publicitaires comme l'ont fait auparavant les sociétés de télévision qui ont contraint la presse papier, les radios et le cinéma à partager les recettes publicitaires.»

«Aucune perte de ventes de vidéos n'est démontrée notamment pour la reprise des journaux télévisés ou des émissions de télé-réalité qui ne sont pas vendues en DVD, et la société TF1 droits audiovisuels ne verse aucun document montrant que des stocks de vidéos n'ont pu être vendus» , ajoute la juge.

TF1 demandait plus de 130 millions d'euros à YouTube France, et pour les mêmes raisons quelque 40 millions à DailyMotion. En 2007, un premier procès dans cette affaire avait tourné court après que le tribunal de commerce de Paris se soit déclaré incompétent sur le dossier, la contrefaçon de droits d'auteur étant en France du ressort du tribunal de grande instance.

«Nous nous réjouissions de la décision rendue aujourd'hui, qui représente une victoire pour Internet et pour tous ceux qui l'utilisent afin d'échanger des idées et des informations, expliquait cet après-midi à Ecrans.fr Christophe Muller, directeur des partenariats YouTube pour Google France. Cette décision défend le droit à innover pour les plateformes de contenus générés par les utilisateurs, leur permettant de faire plus encore pour aider les artistes et créateurs français à atteindre de nouvelles audiences en France comme à l'étranger.»

Le jugement du tribunal de grande instance de Paris suit plusieurs décisions françaises en faveur du modèle des plateformes de streaming. Début 2011, la Cour de cassation confirmait le statut d'hébergeur de DailyMotion, attaqué pour la mise à disposition d'un film. Quelques mois plus tard, la Société Civile des Producteurs de Phonogrammes en France (SPPF) était déboutée par le tribunal de grande instance de Paris, qui avait estimé que YouTube se plie aux exigences du droit d'auteur en retirant tout contenu protégé qui lui est signalé.

En Europe, toutefois, la jurisprudence sur le sujet n'est toujours pas solidement établie après une série de décisions contradictoires. En 2010, la chaîne espagnole TeleCinco avait été déboutée par une cour de Barcelone, qui avait estimé que YouTube n'est qu'un hébergeur. Mais en Italie, le groupe Mediaset, fondé par Silvio Berlusconi, avait remporté en appel son procès contre le service de streaming de Google. Même orientation en Allemagne après un jugement en 2010 à Hambourg ( récemment renforcé par un jugement en faveur des auteurs allemands de musique).

Mais depuis le début de cette séquence judiciaire en Europe, le paysage s'est nettement transformé. Google a notamment mis en avant sa technologie Content ID , un système qui permet l'identification et le marquage du contenu protégé uploadé sur les serveurs de YouTube, afin de déclencher au choix un blocage ou un paiement aux ayants droit. YouTube applique aussi la plus classique procédure de retrait sur signalement.

La plateforme avait ainsi conclu en janvier un partenariat avec TF1 portant sur la valorisation des vidéos sur lesquelles la chaîne possède des droits. Un travail en commun qui a presque rendu caduc le combat en justice sur le statut de YouTube, sans qui la télévision des années à venir ne se fera pas.

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