Cartographie

Les routards du web : «Nous sommes comme des fourmis»

OpenStreetMap est un projet un peu fou qui tente depuis 5 ans de redessiner le monde sous Creative Commons. Aujourd’hui, on interviewe les contributeurs réguliers.
par Camille Gévaudan
publié le 14 août 2009 à 14h32
(mis à jour le 25 novembre 2010 à 15h21)

En six épisodes, nous avons tenté de comprendre (et par là-même de vous expliquer) comment fonctionne le projet de cartographie libre OpenStreetMap. En conclusion de cette série, nous avons voulu nous intéresser à ceux qui font vivre ce projet au jour le jour. En l’absence d’un représentant «officiel» pour la partie française, nous avons choisi un format d’«interview communautaire» avec les contributeurs qui ont bien voulu répondre à nos questions. En raison du nombre d’intervenants, cette interview sera publiée en trois parties.

Comment avez vous découvert OpenStreetMap ?

Sébastien Dinot : J’ai découvert OSM fin 2004, dans la foulée d’«Un Point C’est Tout». Le principe d’une carte libre, construite collaborativement, m’avait conquis et j’avais même acheté un GPS pour y contribuer. Mais les outils disponibles sur GNU/Linux pour traiter les traces GPS étaient spartiates et embryonnaires, le site d’UPCT était lui aussi tragiquement rudimentaire et le flou sur la licence des données m’avait dérangé. En 2007, un collègue contribuant à OSM m’a donné envie de voir ce que ce projet était devenu. J’ai été impressionné par l’évolution des outils et par l’état d’avancement des cartes mais ce n’est qu’en mai dernier que j’ai trouvé suffisamment de disponibilité pour me lancer. Depuis, je suis devenu accro : si je n’ai pas ma dose hebdomadaire d’OSM, le mulot me démange et je pianote nerveusement sur mon GPS.

Thomas Clavier : Par bouche à oreille dans le milieu du libre.

Pieren : Sur France 3 Régions, un reportage sur le sujet. J'avais fait une recherche il y a quelques années et il existait un projet français un peu similaire, mais le site était trop fermé et les GPS hors de prix à cette époque-là.

Jean-Marie : Par la newsletter @Brest éditée à l'initiative de la ville de Brest.

Melaskia : J'ai découvert le projet alors que j'étais à la recherche de données libres pour l'application de ma société.

Nicolas Pouillon : J'avais entendu parler d'un tel projet (peut-être OSM, je ne sais plus) aux Rencontres mondiales du logiciel libre 2004, mais sans m'y intéresser sur le coup. Puis un jour en 2007 ça m'a pris, probablement parce que je suis tombé sur la carte et que les outils étaient facile à prendre en main pour faire de la cartographie à partir des images satellites. J'ai mollement contribué en utilisant les images satellite, jusqu'à octobre dernier où j'étais envoyé en Égypte. Ni Google Maps, ni OSM ne couvraient la zone où j'étais. Du coup, je m'y suis mis pour de bon, en commençant par acheter un GPS :)

Ulrich Rousseau : Mon frère, très friand des aventures «open», m'en a parlé. J'ai testé et adopté.

Julien Thévenon : Une news sur PC INpact qui ne m'avait pas trop marqué, et un bref descriptif dans la rubrique GPS d'ubuntu-fr que j ai consulté quand j'ai eu mon GPS. Je me suis renseigné sur le projet et ai eu envie de participer.

Etes-vous professionnellement impliqué dans la géographie / géomatique, ou s'agit-il seulement d'un loisir ?

Melaskia : Je suis impliquée professionnellement mais pas en tant que géographie ou géodésie. Ma société produit des puces GPS a destination des appareils photo.

Arnaud Corbet : C’est un loisir. Mon métier n’a rien à voir.

eMerzh : Informaticien de métier et de formation, j'ai eu à quelques reprises à me frotter avec la géolocation et les systèmes d'information géographique... Rien de très poussé mais ça faisait déjà une première approche.

Renaud Martinet : Aucunement, il s'agit d'un loisir.

René-Luc D'Hont : Oui, je suis gérant et directeur technique d'une société spécialisé dans la création d'application intégrant des données spatiales.

Simon : Principalement en loisir, mais les cartes commencent à être utile pour mon travail (livraison).

Nicolas Pouillon : Pas du tout, c'est un passe-temps constructif. ça occupe, et c'est utile, que demander de plus ?

Jean Marie : OSM est un pur loisir. IL se trouve que j'utilise un système d'information géographique au Conseil général, mais c'est marginal dans mon travail. En ce moment, je fais des cartes des secteurs de recrutement des collèges.

DenisH : Je suis administrateur de base de données spatiales dans une collectivité locale, ancien cartographe mais totalement autodidacte. Cette expérience m'aide à contribuer à OSM mais l'inverse est vrai aussi.

Plein de passerelles entre le monde de l'infogéo “pro” et la “libre” ; in fine des questions et des réponses de part et d'autre et moi, le cul entre les deux chaises. Situation inconfortable mais exigeante en termes

de souplesse. Le loisir n'est-il pas la prolongation de la route que l'on s'est choisie, en changeant de chemin ?

Vous intéressiez-vous à la cartographie avant de participer à OSM ?

Ulrich Rousseau : Pas du tout.

Sébastien Dinot : Ma première expérience cartographique doit dater de l'époque où je dessinais des cartes pour expliquer à mes frères où j'avais caché le « trésor ». Plus tard, la pratique intensive de la randonnée m'a naturellement amené à m'intéresser à la cartographie.

Renaud Martinet : A part une espèce de fascination pour les cartes topos de mon père quand j'étais gamin, non :)

René-Luc D'Hont : Oui, au cours de mes études d'ingénieur en agronomie.

Mathieu Arnold : Au niveau numérique, j'avais un peu "joué" chez «Un point c'est tout». Sinon, depuis tout gamin, j'ai toujours adoré les cartes, adoration qui était exacerbée par les diverses randonnées en haute montagne que je faisais avec mes parents.

Lionel Maraval : Oui, je suis amateur de cartes sous toutes leurs formes.

Vincent Calame : Oui. Je travaille sur des bases de données et des sites web avec des données géoréférencées (annuaire d'organismes, etc.). La question de fonds de cartes libres se pose (j'utilise pour le moment Google Maps et Yahoo Maps).

DenisH : À 10 ans, je décalquais déjà les contours des départements français dans l'encyclopédie Larousse du XXe siècle. Depuis, j'ai compris qu'il y a des copyrights !

Lolcat of awesomeness - Richard Fairhurst

En quoi consiste la communauté ? Est-elle virtuelle ou se voit-elle «in real life» ?

Steven Le Roux : Large sujet. C'est un support, pour les nouveaux ou plus largement toutes les questions. C'est l'organisation (moyens, wiki, communication...). Il y a des mapping parties qui ne sont pas virtuelles. Bientôt des ateliers d'éditions, comme on faisait des «install parties» linux. Et bientôt les initiatives locales, tout comme il y en a pour Wikipédia. Puis viendra le moment de faire la police comme sur Wikipédia, donc d'avoir une structure française avec des (bienveillants) chiens de garde, etc.

eMerzh : Personnellement je n'ai jamais eu d'autre contacts IRL que pour échanger un GPS etc.. Jamais de mapping party... La communauté c'est principalement des conseils, de l'aide et du prêt de matériel.

DenisH : Nous sommes comme des fourmis. Elles sont aussi besoin d'échanger des informations lorsqu'elles se croisent. Pas pour elles-mêmes, mais pour le bien de la communauté. Dieu merci, nous ne sommes pas QUE des fourmis et je prends aussi beaucoup de plaisir à rencontrer, lors d'une bière-party, d'autres êtres humains. Les réseaux sociaux peuvent se transformer en réseaux humains. Les liens tissés à ces occasions alimentent une communication plus riche.

Pieren : J'ai déjà eu quelques rencontres real-life avec une ou deux personnes à chaque fois. Il y a une vrai volonté de certains d'organiser des mapping parties mais j'ai le sentiment que la majorité des contributeurs français est assez individualiste. A part peut-être ceux qui ont déjà des activités dans le libre comme les groupes linux.

Mathieu Arnold : Pour moi, ça a toujours été virtuel, je rencontre régulièrement d'autres contributeurs, mais je les connaissaient déjà avant, et ce n'est pas pour parler d'OSM. Je ne serais pas contre, par contre, participer à des mapping parties, mais je n'ai pas de voiture, et j'habite à Paris, où c'est déjà pas mal mappé.

Sébastien Dinot : Question convivialité, rien ne vaut les rencontres physiques et les échanges passionnés autour d'un verre à la terrasse d'un café. Je cotoie régulièrement quelques contributeurs d'OSM « IRL » et j'ai eu beaucoup de plaisir à en rencontrer d'autres aux RMLL (Rencontres Mondiales du Logiciel Libre) qui se sont tenues à Nantes au début du mois de juillet. Sans ces rencontres, OSM me semblerait plus austère...

Ulrich Rousseau : Je ne désespère pas de rencontrer d'autres mappeurs un de ces quatres.

La communauté française a-t-elle des liens avec celles des autres pays, ou travaille-t-elle indépendamment ?

Mathieu Arnold : Ça, c'est une bonne question. Je dirais que tout le monde collabore dans son coin et que tant que tout se passe bien pour tout le monde, ça reste ainsi. Mais quand certains prennent des décisions qui ne plaisent pas à d'autres, ça ouvre de grand débats passionnants... :-)

Melaskia : Je ne sais pas. Il y a un certain nombre d'entre nous qui participons aux autres communautés, mais il existe toujours une barrière de la langue pour d'autres pays. La communauté française ne travaille pas indépendamment puisqu'elle se base sur un acquis et un framework commun a tous les autres pays. Dans mon cas, je suis active dans d'autres pays dont l'Angleterre (où je vis) et les USA.

Arnaud Corbet : Les interactions existent pour des nécessités de cohérence de la carte, ainsi que par le fait de contributeurs traçant hors de leur pays de résidence (j'ai fait personnellement quelques incursions en Allemagne et ai ajouté quelques Bundesstraße), mais restent globalement relativement ponctuelles.

Pieren : Il y a chaque année une grand messe ( State of the Map ) qui rassemble tous les pays et jusqu'à maintenant, il y a toujours des Français présents. Ce qui semble étonner nos confrères, c'est le manque de mapping parties chez nous.

Steven Le Roux : Beaucoup de travail isolé, mais une communication pour se tenir au courant et définir les besoins de cartographie. Il faut harmoniser les tags pour que tout le monde tagge une route du même type de la même façon, histoire que les moteurs de rendu puissent être cohérents au niveau international.

Christophe Merlet : Je ne m'occupe pas de ce que font les autres, à part pour cartographier avec un maximum d'intéropérabilité.

Sébastien Dinot : La communauté francophone collabore avec les autres dès que cela a du sens. Preuves en sont les discussions autour de l’import des données de la base Corine Land Cover : cette base couvrant toute l’Europe, à terme, tous les contributeurs européens pourraient être concernés.

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Les épisodes précédents:

  1. OpenStreetMap, les routards du web #1 : A la carte !
  2. Les routards du web #2 : Lost in GPS
  3. Les routards du web #3 : Sur la route
  4. Les routards du web #4 : Les traces de son passage
  5. Les routards du web #5 : Taggons les rues !
  6. Les routards du web #6 : Dessine-moi une maison

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