Jeudi dernier, 27 novembre, le Conseil européen des ministres rendait son avis sur le Paquet Télécom . Si les calendriers sont respectés, il faut maintenant attendre début 2009 les prochaines grandes échéances législatives françaises et européennes autour de la lutte contre le piratage, mais aussi plus généralement la liberté et la neutralité des réseaux. Avec principalement, du côté de Bruxelles, la deuxième lecture du Paquet Télécom au Parlement européen, et du côté national, le passage du projet de loi Création et Internet devant les parlementaires français, toujours programmé pour janvier ou février 2009 .
Nous avons profité de cette pause pour faire un point avec Jérémie Zimmermann, co-fondateur de la
.
Quelle est votre réaction à la décision du Conseil des ministres européens du 27 novembre dernier ?
_ Nous attendions ce résultat. La présidence française de l'UE a fait une
pression énorme sur tous les Etats Membres pour que l'amendement 138 soit retiré. Il s'agissait évidemment pour Nicolas Sarkozy de ne pas
perdre la face avec son projet national «Création et Internet». Il
semble toutefois qu'en échange du retrait de cet amendement, la plupart des éléments visant à imposer la riposte graduée Européenne aient été enlevés.
Nicolas Sarkozy voulait utiliser la présidence française pour propager la
riposte graduée en Europe. Il a lamentablement échoué tout comme les
lobbies du divertissement, commanditaires de ce projet absurde.
Quelques scories de riposte graduée demeurent toutefois dans le texte
(1). Bien que très largement neutralisées, elles n'ont rien à faire dans un texte qui régule les contenants et non les contenus. Volontairement
rédigées de façon floue, elles pourraient encore servir aux Etats
Membres pour mettre en œuvre, optionnellement et au cas par cas, une
variante de riposte graduée.
En outre, le Conseil a introduit une modification inacceptable (2). Au nom de la sécurité des réseaux, il propose d'autoriser des sociétés comme Microsoft ou Google à traiter les données personnelles sans autorisation préalable de l'utilisateur. C'est une véritable régression, en totale contradiction avec les recommandations de la CNIL européenne (pdf) , que le Parlement européen avait très justement suivies.
Il faut désormais nettoyer le texte en deuxième lecture au Parlement
Européen : supprimer cette disposition, ainsi que les quelques scories
de riposte graduée qui appartiennent désormais au passé.
On est tout de même en droit de s'indigner de la position du Conseil :
les ministres ont supprimé des dispositions protectrices des droits et
libertés fondamentaux des citoyens. Par exemple l'amendement 166
(relatif à la neutralité du net, ndlr) ou l'amendement 138 (3). N'y aurait-il que les représentants élus (Parlement) qui se préoccupent de cette défense ? Et sur la riposte graduée, le message des ministres peut se lire comme «on ne veut pas qu'on nous impose ça chez nous, mais on ne vous empêche pas de le faire en France si vous y tenez». C'est un bel exemple du manque d'intérêt que portent les États Membres à la construction d'une Europe protectrice des citoyens. Chacun reste arcbouté sur ses préoccupations nationales.
Dans ce contexte, comme voyez-vous l'évolution du projet de loi Création et Internet ?
_ Pour la disparition de l'amendement 138, même si Christine Albanel ne
manque pas de présenter ça comme une victoire, voire une validation de
son projet de loi imbécile et inapplicable, il n'y a pas trop de souci à
se faire.
Depuis son vote par 88% des eurodéputés , beaucoup (Trautmann, Reding, Albanel elle-même) ont expliqué qu'il n'était que le
rappel d'un principe fondamental du droit européen : une autorité
administrative ne peut se substituer à l'autorité judiciaire pour
restreindre les libertés individuelles. Le retrait de l'amendement 138
ne change rien à ce principe, et ne change rien au fait que l'HADOPI est
en totale contradiction avec celui-ci et de nombreux autres principes du
droit Européen.
La Commission ne s'y est d'ailleurs pas trompée, dans les observations
qu'elle a formulées à la France au sujet de l'HADOPI. Elle y démonte consciencieusement le texte français, en posant toutes les questions qui fâchent et que nous avons soulevé depuis si longtemps. La situation parait désespérée pour Christine Albanel. Il faut s'attendre à ce que l'examen de la loi à l'Assemblée Nationale soit nettement moins reposant pour elle que le fût celui au Sénat...
Quels sont les principaux prochains enjeux pour la Quadrature du Net
Et à quelles actions citoyennes appelez-vous ?
_ Il y a de nombreux dossiers à surveiller, car nous assistons à un front
global contre nos libertés dans l'environnement numérique. Dans un
avenir très proche il y a gros à parier qu'au nom de la protection de
l'enfance ou de la lutte contre la criminalité ou le terrorisme, on
tente d'appliquer des mesures ayant pour effet de censurer ou de filtrer
les contenus sur le réseau. Chacun peut suivre les informations que nous publions sur notre site , souscrire à nos flux RSS et s'abonner à nos listes de discussion , pour se tenir informé de ces enjeux, et pouvoir agir au moment opportun.
Pour le moment, sur le front Européen, il faut continuer de nettoyer le Paquet Télécom de toute trace de riposte graduée. Nous allons, dans les jours qui viennent, publier une analyse détaillée expliquant les points clés à modifier dans le texte voté, en perspective avec les textes votés par le Parlement Européen et proposés par la Commission. Chacun pourra ainsi consulter ses députés européens pour
leur expliquer les enjeux, et se tenir à leur disposition pour en
discuter lorsque la seconde lecture arrivera.
Pour la France, chacun doit dès à présent contacter son député pour lui expliquer pourquoi l'HADOPI est inefficace, inapplicable, coûteuse et dangereuse. Il faut demander à son député de rejeter cette loi. Chacun peut pour cela lui envoyer des analyses publiées par La Quadrature (nous publierons dans quelques temps un guide synthétique sur le sujet), mais également l'analyse de la CNIL , les observations de la Commission Européenne , etc.
Il faut continuer à parler, mailer, bloguer sur ces sujets! Il est indispensable d'éduquer le grand public, les créateurs et les décideurs politiques à ces enjeux qu'ils ne maîtrisent pas. Et surtout garder à l'esprit que c'est un combat à long terme que nous ne pouvons que gagner. Dans dix ans, repenser à l'HADOPI fera rire tout le monde.
(1) Par exemple l'article 33, particulièrement le point 2a, les considérants (12c) et (14a) de la Directive Universal Service (p. 28 et 48) (pdf)
(2) Il s'agit l'amendement 181 devenu l'Article 6, point 6 de la Directive ePrivacy (pdf) qui avait été revu suite aux recommandations du Contrôleur européen de la protection des données (CEPD).
(3) Le premier (amendement 166) se retrouve à l'Article 3 de la Directive Access (pdf) ) , le second (amendement 138) à l'Article 8, paragraphe 4 point g(a) de la Directive Framework (pdf) .
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